samedi 23 mai 2009

DRAME AU FELICIA: LE VERDICT?


A la suite du drame survenu au stade Félix Houphouët-Boigny lors de la rencontre Côte d'Ivoire-Malawi du 29 mars et qui a occasionné la mort de 20 personnes et fait 132 blessés, le président de la République, Laurent Gbagbo, a saisi le parquet à l'effet de mener une enquête pour rechercher les causes de ce drame, ainsi que les auteurs et déterminer les responsabilités. Voici les conclusions de l’enquête.Le Parquet d'Abidjan a diligenté deux enquêtes menées simultanément par la Direction de la Police Criminelle et par la Brigade de la Gendarmerie de Treichville, du 30 mars au 25 avril 2009.Ces enquêtes ont permis d'établir les faits suivants :Le jour du match, aux environs de 14 heures 30 minutes, les supporters ont forcé l'une des portes d'entrée du stade située en face de l'immeuble Atta, faisant tomber le portail. Suite à cela, un grand nombre de personnes s'est engouffré par cette entrée et a fait une chute dans les escaliers de 8 marches, causant un mort et des blessés graves dont deux gendarmes sur qui le portail est tombé. Les supporters qui se sont rués dans cette entrée, piétinaient ceux qui étaient à terre. Pour arrêter le flux de personnes qui entraient par cette ouverture et éviter que les personnes piétinées dont les deux gendarmes ne perdent leur vie, le lieutenant Gaoua Mélèdje a dû lancer deux grenades lacrymogènes ; l'une vers l'immeuble Atta et l'autre vers le restaurant « La maison du combattant ».Cela a fait reculer la foule, et l'ordre a pu être rétabli pour que les blessés soient secourus. L'utilisation des grenades lacrymogènes intervenue après l'incident ci-dessus mentionné n'a fait aucun mort ni blessé comme l'attestent les autopsies pratiquées sur les victimes.Autour de 16 heures, la FIF, ayant constaté que les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) notamment les gendarmes, étaient débordées, a dû fermer l'entrée numéro 22 alors que celle-ci devait être ouverte sans discontinuer. Cette situation a entraîné un attroupement massif de spectateurs du côté de l'issue de sortie numéro 23, située en face de l'Assemblée Nationale.Excédés et l'ouverture du match étant proche, lesdits spectateurs ont forcé cette issue jusqu'à ce qu'elle s'ouvre. Malheureusement, lorsqu'on y entre (issue 23), l'on débouche sur des escaliers qui descendent avec un dénivelé de 3 mètres 60 centimètres (18 marches) ; de sorte que dès qu'elle fut ouverte sous cette forte pression, les premiers spectateurs à y pénétrer ont été projetés dans le vide et les autres ont suivi. Ainsi plusieurs personnes ont fait une chute dans ces escaliers et se sont fait piétiner et écraser. A cet endroit, il a été dénombré 18 morts.Le jeudi 16 avril 2009, un des blessés a rendu l'âme au CHU de Cocody.L'enquête achevée a pu établir ce qui suit :I- Les causes du drameA- Au niveau de la FIF1- La sécurisation du matchLa FIF organise les compétitions internationales de football par le biais de son Comité d'organisation (C.o), présidé par le sieur Anzouan Kacou Bléouet Albert.Avant chaque match, le C.O organise une réunion dite réunion de sécurité qui se tient en présence des responsables FDS qui doivent assurer la sécurité du match, du responsable sécurité de la FIFA et d'un membre de la commission sécurité de la FIF.Cette procédure a été respectée pour le match Côte d'Ivoire-Malawi. Seulement, l'enquête a révélé que la réunion de sécurité est quasi-informelle, en ce qu'elle n'est jamais sanctionnée par un procès-verbal qui aurait permis, dans le cas d'espèce, de situer immédiatement après coup, les responsabilités. Cette carence a suscité une polémique quant aux missions effectivement confiées aux différents participants, notamment les FDS. Nous avons relevé en outre qu'aucun membre de la commission sécurité de la FIF, notamment le lieutenant Toka Louis Amédé, n'y a participé. Le commandant Goué Léopold, représentant la Gendarmerie, qui assurait également la couverture du match, n'y était pas non plus. En somme, cette réunion que nous estimons tardive puisqu'elle a eu lieu seulement à la veille du match, s'est tenue avec beaucoup de légèreté, en témoignent l'absence de procès- verbal et les absences des responsables précités.En conséquence, le défaut de coordination pour la sécurisation de cette compétition internationale a rendu inévitable ce drame.2- La billeterieLa billetterie, c'est-à-dire la commande, la distribution et la vente des billets, relève de la compétence de M. Anzouan Kacou en sa qualité de président du C.O.L'enquête a révélé que M. Anzouan Kacou a confié l'édition des billets au sieur Aka Faustin qui, en réalité, n'est pas un imprimeur. Ce dernier a donc sollicité les services de plusieurs imprimeries, ouvrant ainsi une large porte à la possibilité d'émettre des billets parallèles.Dès la survenance du drame, M. Anzouan Kacou a annoncé sur les chaînes nationales et internationales n'avoir vendu que 31.616 billets.Pour accréditer cette déclaration, M. Anzouan a demandé aussi bien à Aka Faustin qu'à M. Zabalou Serges, Directeur commercial de la société Ivoire Carte Système (ICS), qui est la structure qui procède au stickage des billets, soit de produire de faux documents, soit d'annuler certaines factures. Dans la même lancée, MM. Koné Ardjouma et Anzouan Kacou ont instruit Beugré Ando, le comptable de la FIF, d'émettre une facture proforma antidatée de 31. 616 tickets.L'enquête a révélé cependant qu'en réalité, plus de 31.616 tickets ont été vendus. C'est précisément 33.894 billets et cartes d'invitation stickés qui ont été vendus par la FIF selon les documents que nous avons pu saisir et reconstituer, les autres pièces ayant été détruites ou jetées. En outre, Aka Faustin a déclaré avoir confectionné plus de 37.000 billets.L'intervention de plusieurs structures dans la billetterie, de même que la traçabilité des opérations de billetterie, a pu laisser une grande place à la fraude par l'émission de billets parallèles. Le C.O a donc, par ce moyen, escroqué plusieurs spectateurs qui n'ont pu avoir accès au stade.B- Au niveau des Forces de défense et de sécuritéIl est regrettable que le dispositif sécuritaire soit déterminé par le C.O de la FIF à travers sa commission sécurité. Le secrétaire général de ladite commission, le lieutenant Toka Louis Amédé devait présenter un exposé sur ce dispositif lors de la réunion de sécurité. Il n'y a cependant pas participé.Quant aux FDS notamment, la police, l'enquête a révélé qu'elle s'est contentée des missions contenues dans les courriers qui lui ont été adressés par le C.O de la FIF, alors qu'elle a une mission régalienne de maintien de l'ordre qui l'obligeait à prêter efficacement main forte ou même à demander du renfort pour éviter ce genre de drame. Il n'appartenait pas à la FIF, une structure privée, de dicter aux FDS, les dispositions sécuritaires à prendre. Elle n'en a ni la qualité ni la compétence, ni l'expertise.-Le nombre insuffisant des FDS (100 gendarmes et 200 policiers) déployées a été un facteur aggravant.-l'absence de « filtrage » des spectateurs non munis de tickets au premier poste de contrôle par les FDS a constitué la faille majeure du dispositif sécuritaire de la FIF. En effet, cela a permis un attroupement massif aux abords immédiats du stade Félix Houphouët-Boigny, de spectateurs non munis de tickets alors que le match se jouait à guichets fermés, pour éviter justement cette situation de désordre ; les FDS ayant reçu mission de la FIF d'assurer la régulation de la circulation au niveau des check-points qui pourtant devaient être des points de contrôle (c'est-à-dire qu'aucun spectateur non muni de ticket ne devait franchir le check-point).-Le fait pour les Forces de Défense et de Sécurité d'avoir minimisé les risques de débordement, malgré les appels et mises en garde du président du comité d'organisation à l'endroit du commandant Goué Léopold vers 13h et 15h, donc avant le drame.-L'absence de commandement unifié entre les différentes FDS présentes sur le terrain ne leur a pas permis d'intervenir efficacement.S'agissant du racket des FDS, allégué par les victimes, ce fait n'a pu être justifié par ces dernières qui n'ont pu formellement identifier les FDS qui auraient commis de tels agissements. Aucun des agents de la FIF, ni de l'Office National des Sports (ONS) qui ont travaillé en équipe avec les FDS n'a confirmé le racket décrié par les supporters.C- Au niveau de l'Office National des Sports (ONS) Le stade Félix Houphouët-Boigny, structure étatique, est géré par l'Office National des Sports (ONS) qui doit le livrer à la FIF en bon état de fonctionnement. Il est pourtant ressorti de l'enquête que des spectateurs munis ou non de tickets ont pu aisément escalader la clôture du stade pour se retrouver dans l'enceinte. Cet état de fait a été facilité par l'affaissement de certains pans de la clôture du stade au niveau du boulevard lagunaire et non loin du palais de Justice, du côté de l'Assemblée Nationale. Ces pans de murs tombés longtemps avant le match Côte d'Ivoire-Malawi, n'ont pas été reconstruits.D- Au niveau des victimesIl est ressorti de leurs auditions et de façon unanime que les victimes ont forcé deux portails. Ce comportement qui est l'illustration d'une indiscipline caractérisée est la cause directe du drame. Il est ressorti en outre du rapport que nous avons sollicité du BNETD, que l'issue numéro 23 qui répondait aux normes sécuritaires pouvait supporter une charge ou une pression de 2 tonnes et 280 kilogrammes. Elle a donc cédé suite à des sollicitations de charges exceptionnelles comme nous l'avons constaté lors de notre transport sur les lieux. C'est le lieu de rappeler que l'issue de sortie N° 23 où il y a eu de nombreux morts n'aurait jamais due être empruntée comme voie d'accès au stade par les spectateurs.II- Responsabilité pénaleEn conséquence, les infractions qui peuvent être retenues sont:D'abord les délits d'homicide et de blessures involontaires prévus par l'article 353 alinéas l et 2 du Code pénal. Ils sont imputables à :1- Anzouan Kacou Bléhouet Albert (Président du comité d'organisation du match)2- Djokouehi Djibré Léon (Chef du district 4).3- Obou Gadau Valentin (Commandant du groupe des escadrons)4- Goué Léopold Magloire (Commandant du camp commandos d'Abobo),De la Juridiction compétenteComme je viens de l'indiquer, l'homicide et les blessures involontaires sont reprochés aussi bien aux responsables des FDS qu'à ceux de la FIF notamment le président du comité d'organisation. Si ce dernier est directement justiciable devant les juridictions de droit commun, la procédure n'est pas automatique pour les FDS.En effet, les FDS mis en cause ont la qualité d'OPJ, en la matière, l'article 656 du Code de procédure pénale fait obligation au parquet de saisir par une requête, la cour suprême qui désignera ensuite la juridiction où l'affaire sera instruite et jugée. La procédure prévue par ce texte est donc en cours en ce qui concerne :1-Djokouéhi Djibre Léon (Chef du district 4).2-Obou Gadau Valentin (Commandant du groupe des escadrons)3-Goué Léopold Magloire (Commandant du camp commandos d'Abobo),M. Anzouan Kacou, président du Comité d'organisation, quant à lui, sera traduit devant le Tribunal correctionnel en citation directe.Ensuite, nous avons retenu d'autres infractions en ce qui concerne certains responsables de la FIF et ceux qui sont intervenus dans la billetterie :1-Faux et usage de faux en écriture privée et de commerce (Articles 416 et 420 du Code pénal) :Beugré Andoh, chef du service comptabilité de FIF, Koné Ardjouma, Directeur général de la FIF,Yao Séraphin, Kamara Shindou, Kouadio Rosine et Kouakou Florence, tous de la société Ivoire Carte Système (ICS) ont fait de faux bons de réception, de livraison et de fausses factures pour dissimuler le nombre réel de tickets qu'ils ont sécurisés (33.894 et non 31.616).2- Complicité de faux et usage de faux (Articles 27, 30, 416, 420 du Code pénal) :Anzouan Kacou, Aka Faustin et Serge Zabalou. Ceux-ci ont donné les instructions, les moyens et ont aidé les personnes qui ont fait les faux documents. N'ayant pas eux-mêmes commis personnellement les faits, ils en sont complices.3- Escroquerie (Articles 403 et 420 du code pénal) Anzouan Kacou et Aka Faustin4 - Complicité d'escroquerie (Articles 27, 30, 403 et 420 du Code pénal)Koné Ardjouma, Beugré Andoh, Serge Zabalou, Yao Séraphin, Kamara Shindou, Kouadio Rosine, Kouakou Florence.Toutes ces personnes suscitées seront également traduites devant le Tribunal correctionnel en citation directe et seront jugées dès le 19 juin 2009.


Fait à Abidjan le 18 Mai 2009

Le Procureur de la République

Tchimou Raymond Féhou